Le jeune Maurice Whitebak doit se rendre en Irlande pour recueillir un héritage : une grande propriété ? grande du moins selon les normes du vieux continent sinon celles du Canada et du domaine familial de Jalna. Il rêve d'en faire reine sa cousine Adeline. Toute la famille sourit à ce projet, sauf Renny qui trouve que sa fille a bien le temps de penser au mariage et Adeline elle-même qui a simplement envie de voir le monde. Ce n'est donc pas comme fiancés que les deux cousins prennent le bateau, chaperonnés par leur oncle Finch. Pendant ce temps à Jalna, les choses ne sont pas allées toutes seules. La lutte de Renny avec Clapperton, sa bête noire, n'est que la plus marquante des péripéties qui ont bouleversé la vie du domaine pendant l'absence des voyageurs.
Je crois que je suis sur une bonne lancée pour finir la saga bientôt ! J'ai beaucoup aimé "La fille de Renny" qui se concentre moins sur les personnages habituels, ce qui laisse de la place à d'autres pour évoluer. Jalna est riche en personnages, et il est parfois difficile de tous les suivre. Celui-ci, évidemment, tourne autour d'Adeline qui a dix-huit ans et découvre enfin la vie en dehors du microcosme de Jalna. Autour d'elle, gravitent Maurice et Finch. Il est intéressant de noter que les scènes dans la grande maison sont plutôt minoritaires dans ce tome, laissant une belle part au voyage d'Adeline, New York, le paquebot, l'Irlande, Londres, mais aussi à Vaughanland habité par Clapperton, sa femme et sa belle-soeur, les bungalows construits sur la propriété et la cuisine où officient les Wragge. On passe du temps avec Wright, le vieux Noah Binns à la retraite, les Wragge, les Barker habitant un des bungalows, et évidemment les Clapperton. Alors j'ai parfois trouvé qu'on passait justement un peu trop de temps à Vaughanland, mais dans son ensemble, j'ai bien aimé qu'on s'intéresse à la communauté gravitant autour de Jalna. Ca m'a rappelé les deux premiers tomes de la saga où les Lacey, Busby, Pink Wilmott, Tite, faisaient partie intégrante du paysage. Je pourrais dire que ça s'était un peu perdu en route, mais il faut se rappeler que tout ceci a été écrit dans le désordre et les trois tomes que Mazo de la Roche a écrit avant celui-ci sont dans l'ordre "La naissance de Jalna" "Retour à Jalna" et "Mary Wakefield". Je trouve ça intéressant à noter, car on retrouve quelques clins d'oeil avec "La naissance de Jalna". Evidemment le plus important est la similarité entre les deux Adeline, deux jeunes femmes pleines de fougue, impulsives et passionnées. Il est fait mention également dans ce tome du baptême d'Ernest qui clôt le premier opus, première cérémonie à avoir eu lieu dans la petite église de campagne. Car, attention spoilers, on perd Ernest dans ce tome 14, et j'ai été assez émue par ses obsèques dans l'église qu'il avait inauguré bébé, et par Noah Binns à la retraite, qui tient à creuser la tombe du vieil homme et à sonner le glas pour lui. Il meurt le lendemain de l'incendie de Vaughanland, la maison où il a été conçu est partie en fumée. Ca nous rappelle que voilà plus de quatre-vint-quinze ans que nous suivons cette famille, et c'est quelque part une page qui se tourne pour les Whiteoak, même s'il reste le bon vieil oncle Nick.
Le livre commence à Jalna, trois ans après la fin du précédent. Nous faisons la connaissance de Dennis, le fils de Finch, qui vient de fêter ses neuf ans. Cet enfant est élevé par toute la famille, car Finch est souvent absent, et quand il est là il ne s'intéresse guère à son enfant. Dennis lui rappelle Sarah et il semble incapable de l'aimer, alors que tout ce que cherche le petit garçon c'est l'affection de son père. Mais il s'aggrippe, se cramponne d'une manière qui ulcère Finch. Il faut dire que cet enfant est assez étrange, mais Finch n'est clairement pas un bon père. C'est donc presque la tradition familiale d'élever les enfants en communauté, comme dit Renny "tout le monde s'emmêle", ce qui agace Alayne dès qu'il s'agit de ses propres enfants. A Jalna, nombreux sont les enfants qui ont grandis sans parents, Eden, Piers, Finch, Wakefield, Roma et maintenant Dennis, car Finch n'a de père que le lien génétique. C'est donc habituel de voir les enfants punis par des oncles. Mais lorsqu'il s'agit de faire la leçon à Archer, Alayne aimerait bien qu'on se rappelle qu'il a père et mère et qu'ils se chargent de l'éduquer comme ils l'entendent. Peine perdue à mon avis ! On aperçoit également la petite Mary, fille de Piers, âgée de trois ans, petite chérie de toute la famille. Le livre commence par l'annonce que Clapperton, le voisin antipathique, souhaite reprendre son idée de village modèle au pied de Jalna, mais les Whiteoak se liguent en disant qu'ils ne le permettront pas. Evidemment ils n'ont aucun pouvoir légal pour l'en empêcher, mais on sait bien que cette famille fait la pluie et le beau temps sur tout le coin, et Clapperton s'attaque peut-être à plus fort que lui. Le deuxième événement est la majorité de Mooey, qui hérite enfin de Glengorman et va rentrer en Irlande, chez lui. Son souhait est d'y emmener Adeline dont il est amoureux et que toute la famille souhaiterait voir l'épouser. Petite pause ici pour remarquer que la consanguinité qui gênait tant Renny dans "Le destin de Wakefield" forçant Wake et Molly à rompre, ne pose plus aucun problème pour personne maintenant. Alors certes Wake était le "demi-oncle" de Molly, alors que Maurice et Adeline ne sont que "demi-cousins" mais ça me chagrine un peu pour Wakefield. Bref, il n'est pas convenable d'envoyer les deux cousins seuls, donc Finch est désigné pour les chaperonner, car Renny ne veut pas s'éloigner de Clapperton.
Nous voilà donc partis pour l'Irlande, et très vite le voyage va se compliquer. Ils n'ont même posé un pied sur le sol de la vieille Europe qu'Adeline tombe amoureuse sur le paquebot de Maitland Fitzturgis, un irlandais de trente ans sans le sou. Tout le monde semble le trouver fort sympathique jusquà ce que Maurice les surprenne tous les deux. A partir de là, Mooey devient taciturne et franchement insupportable, et Finch se trouve bien dans l'embarras de devoir se mêler des affaires de quelqu'un d'autre. Coincé entre le bonheur d'Adeline et l'idée que Renny la lui a confiée, Finch n'est pas très à l'aise, mais je trouve ma foi qu'il s'en sort très bien ! Et pourtant qui aurait envie de chaperonner la réincarnation de Gran, qui file à la première occasion sans dire où elle va et téléphone à la nuit tombée pour dire qu'elle passe la nuit chez Fitzturgis ? J'ai bien rit devant l'impulsivité d'Adeline en imaginant que son aïeule aurait sûrement fait tout pareil, mais se serait récolté des coups de bâtons de son propre père. J'ai d'ailleurs suivi toutes les aventures d'Adeline éprise de son premier amour en me disant WWRS ? What would Renny say ? Ah ah, je crois que Renny aurait convulsé ! M'enfin il n'en savait rien, et il est revenu à Finch d'essayer de prendre soin de sa nièce et de la réconcilier avec Maurice. Car évidemment Maurice est devenu bougon et sur la défensive en permanence. Comprennez-vous, il avait l'espoir d'épouser Adeline, et il avait fait des projets, tout tombe à l'eau. Mais mon garçon, n'as-tu jamais pris en compte dans tes projets, le fait qu'Adeline n'était pas amoureuse de toi ? Quand je pense qu'enfant j'espérais que ce couple se concrétise... Il faut dire qu'Adeline en fait tourner des têtes, il n'est pas un jeune homme qui ne soit pas amoureux d'elle, Mooey, Maitland, Pat Crawshey, Humphrey Bell le nouvel habitant de la ferme aux renards... La digne héritière de son arrière grand-mère à qui toute l'Irlande faisait la cour. J'ai adoré suivre les première passions amoureuses de la jeune Adeline, comme ses premiers chagrins de devoir se séparer, car il faut bien rentrer au Canada et Maitland est coincé en Irlande. Mais heureusement il y a l'oncle Finch qui est là pour la serrer contre lui. Et puis Renny également, lorsqu'il finit par apprendre tout ça, qui prend ça avec philosophie "Non je ne suis pas fâché, j'ai été amoureux moi aussi". Gageons qu'il ne l'aurait pas aussi bien pris s'il avait été là-bas, voyant sa fille désobéïr pour retrouver son amoureux... Eh bien, Adeline a grandi et la relation père/fille est toujours aussi jolie.
Pendant tout ce temps, le lecteur est ramené régulièrement au Canada, à Vaughanland, pour suivre les pérégrinations de ses habitants. Clapperton est un petit homme méprisable et son mariage prend l'eau. Gemmel tombe amoureuse de Raikes, l'homme à tout faire peu scrupuleux, et Althea s'entend bien mal avec son beau-frère. Clapperton, aigri, n'a de cesse que de faire de la vie des autres un enfer. Il veut quitter le Canada, mais pas avant de s'être vengé de ces Whiteoak qui lui ont ruiné tous ses plans. Il construit de nouveaux bungalows au pied de Jalna et projette de faire monter une usine sur une ancienne ferme. Le karma va se retourner contre lui puisqu'il va partir en fumée avec Vaughanland. Tout le monde le croit mort en héros, voulant sauver Althea des flammes, en fait il voulait juste sauver un service à thé. Bien fait. Tout est bien qui finit bien, le méchant est mort, Althea part vivre à New York avec Molly et Gemmel va probablement épouser Raikes. J'ai trouvé toute cette partie un peu longue, même si j'ai aimé qu'on en apprenne plus sur le reste de la communauté.
Notes diverses. J'adore la relation de Piers et Meg ! Chaque fois qu'ils se parlent c'est pour que Piers remette sa soeur à sa place. Il semble être le seul à ne pas idôlatrer cette soeur, probablement parce qu'elle a été si dure avec Pheasant, il ne le lui a jamais pardonné. Lorsqu'elle joue les pauvres veuves éplorées, se plaignant d'avoir dû vendre Vaughanland, il lui rappelle qu'elle s'est fait un joli pécule dessus. Car Piers, comme tous les autres Whiteoak aime l'argent et ne le cache pas, Meg l'aime autant que les autres et a bien profité de l'héritage de Finch, mais elle fait toujours semblant de ne pas y attacher d'importance. Piers voit clair dans son jeu et ça m'amuse beaucoup ! Finch a acheté les ruines de Vaughanland, dans l'idée de s'y refaire construire une maison et de l'habiter seul, d'y être tranquille, enfin il va être obligé d'y amener Dennis. La réaction de Piers lorsque Meg projette de vendre la maison qu'elle occupe avec Patience et Roma, et de s'installer chez Finch est parfaite, moqueuse à point ! "Pauvre diable, dit Piers avec commisération, vivre avec trois femmes !". J'ai également bien aimé la réaction de Renny à l'idée qu'un jour ses enfants se marieraient qui qu'ils pourraient vivre sous son toit tous "Il était toujours convaincu de l'élasticité de Jalna et de sa capacité d'abriter toute la famille" Ma foi, vu le nombre de personnes qui y vivait à l'époque du commencement de "La moisson de Jalna", je jure que Jalna est clairement élastique ! J'ai été amusée par le passage où Adeline et ses parents vont rendre visite à Archer dans son pensionnat, où sont également Nook et Philippe. J'aime bien voir les Whiteoak sortis de leur contexte, voir les enfants évoluer dans un autre univers. Surtout les professeurs qui les appellent Whiteoak un, deux et trois. Merci par ailleurs à la traductrice de m'apprendre qu'un transat est le diminutif de "transatlantique", on appelle ces longs fauteuils de jardin ainsi car ils étaient intialement conçus pour les ponts des paquebots qui faisaient des traversées transatlantiques ! Et le temps passe dans Jalna, même si tout semble immuable dans la grande maison, conservé comme au temps des premiers Philippe et Adeline, on note que plusieurs personnes prennent l'avion dans ce tome. L'avion ! Alors que Renny regrette toujours qu'il y ait autant de voitures sur la route et qu'il ne puisse plus s'y promener à cheval tranquillement...