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Lucile in the sky
25 janvier 2016

Pierre Lemaître - Au revoir là-haut

Pierre Lemaître - Au revoir là-haut

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"Pour le commerce, la guerre présente beaucoup d'avantages, même après."


Sur les ruines du plus grand carnage du XXe siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu'amorale. Des sentiers de la gloire à la subversion de la patrie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec ses morts...
Fresque d'une rare cruauté, remarquable par son architecture et sa puissance d'évocation, "Au revoir là-haut" est le grand roman de l'après-guerre de 14, de l'illusion de l'armistice, de l'État qui glorifie ses disparus et se débarrasse de vivants trop encombrants, de l'abomination érigée en vertu.
Dans l'atmosphère crépusculaire des lendemains qui déchantent, peuplée de misérables pantins et de lâches reçus en héros, Pierre Lemaitre compose la grande tragédie de cette génération perdue avec un talent et une maîtrise impressionnants.


 

J'ai lu beaucoup de livres, vus énormément de films traitant de la seconde guerre mondiale et de l'après. La guerre de 14, ça c'est nouveau pour moi, on l'apprend à l'école mais elle est peu présente dans notre culture, les gens qui l'ont connue sont morts, ce n'est plus de celle-là qu'on parle. Je crois que c'est ce qui m'a attirée dans ce livre.

Au revoir là-haut est un beau titre pour un joli livre. Il vient directement de la lettre qu'un poilu (Jean Blanchard) a écrit à sa femme avant d'être exécuté, et il illustre le premier chapitre du roman, celui où tout bascule. Nous sommes en novembre 1918 à quelques jours de l'armistice, la guerre s'éteint, et le lieutenant Pradelle décide d'envoyer ses soldats dans un dernier casse-pipe pour gagner des gallons. Dans cette dernière manoeuvre, Pradelle ruine la vie d'Albert et celle d'Edouard, deux poilus qui ne se connaissaient pas et vont voir leurs vies désormais liées de manière inextricable. Au revoir là-haut suit le destin des ces trois hommes qui n'auront de cesse de se croiser.

Derrière les histoires individuelles de Pradelle, Albert et Edouard est esquissé le retour des poilus à la vie libre. Une France à reconstruire, une économie à relancer, des soldats qui n'ont plus de travail, des blessés qui devront réinventer leur vie, des fiancées qui n'ont pas attendu, des familles qui tournent leur dos, des civils qui honorent les morts et crachent sur les survivants. Le retour à la vie civile est compliqué pour Albert et Edouard qui ne savent pas comment sortir de la merde, un seul vêtement fourni à la démobilisation, un travail de rue qui nourrit mal, un logis forçant trop de promiscuité, des médicaments à acheter, l'avenir est sombre. Enfin c'est sans compter sur la personnalité fantasque d'Edouard que l'on apprend à connaître au fil des pages. Si Albert est un petit comptable sans ambition ni imagination mais avec pas mal de volonté et deux pieds sur terre, Edouard est un grand rêveur qui pense que tout est possible. A eux deux ils esquissent un grand projet irréalisable pour sortir de l'ornière. Et puis il y a Pradelle, cet être abject. Pradelle qui va trouver sa place dans le giron d'une famille respectable et pleine aux as. Pradelle qui n'a pas peur d'escroquer les morts et l'état du moment que ça lui profite. Car il y a de l'argent à se faire pour remettre le pays en état. Et cette partie de l'intrigue est basée sur des faits historiques. 1918, la France doit rendre ses morts aux familles, des morts enterrés sur les champs de bataille ou à distance, parfois identifiés, parfois anonymes, parfois en fosse commune. Il va falloir au plus vite construire des cimetières militaires, retrouver les défunts et  les y rassembler. Vite car les familles réclament leurs fils, et aussi car il faut rendre les champs de bataille aux paysans. Alors les corps incomplets, les identifications perdues, les corps allemands mélangés aux français, les morts enterrés sous le nom d'autres... Et j'en passe ! Au revoir là-haut est une bonne base de réflexion sur ce qu'à pu être la France au lendemain de la première guerre mondiale. Un pays qui n'était pas préparé à la reconstruction, à la réinsertion des survivants, à la prise en charge des blessés lourds. L'écriture est simple et efficace malgré son peu de dialogues (l'un des personnages principaux ne pouvant parler), un certain suspens est présent tout le roman et nous entraîne à enchaîner les chapitres. Je me suis longtemps demandée comment ça pouvait se terminer, ne voyant aucune issue satisfaisante possible, je n'avais pas vu venir cette fin ! Les personnages sont tous intéressants, j'ai évidemment d'emblée détesté Pradelle, mais je voulais continuer à suivre ses intrigues en espérant assister à sa chute. J'étais plus circonspecte avec Albert qui m'ennuyait un peu, mais j'avais hâte de savoir comment il allait les sortir lui et Edouard de ce cul-de-sac. J'ai beaucoup aimé Edouard, même si je ne suis pas bien sûre qu'on puisse vivre en 1918 avec des blessures comme les siennes sans mourir de septicémie... Son personnage haut en couleur anime toute la deuxième moitié du roman. J'ai également eu beaucoup d'affection pour Madeleine et son père et j'ai croisé les doigts tout le long du récit pour qu'ils ne se fassent pas embobiner dans les magouilles de Pradelle. Je reprocherais au roman une fin un peu trop abrupte, j'aurais aimé une réaction de la part d'Albert, de Mr Péricourt et de Madeleine. J'espère les voir abordées dans une "suite" que laisse présager l'épilogue. Pierre Lemaître aurait parlé d'une fresque de romans sur le XXe siècle, on peut donc attendre un autre roman qui sans être une suite verrait apparaître certains personnages secondaires de celui-ci dont la petite Louise.

Un très bon livre donc, écriture efficace, intrigues bien menées, personnages bien construits. Et une envie de fouiller un peu dans l'histoire des poilus et de l'après-guerre de 14-18.

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